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Stefano Gervasoni

La musique gervasonienne renvoie à une hiérarchie sous-jacente qui ne repose plus sur la seule échelle de douze sons, mais les diverses modalités d’être des sons et leurs affinités. Son spectre va des éléments bruités aux consonances les plus pures. Aussi les tensions harmoniques ne proviennent-elles pas du rapport entre consonance et dissonance, au sens traditionnel du terme, mais de la nature interne des sons et des complexes sonores imaginés. Le son est tout entier sonorité, composé de tous les éléments qui en font un phénomène singulier.

Présentation

Stefano Gervasoni est né à Bergame en 1962. Il suit des études de piano puis, après avoir sollicité, à l’âge de dix-sept ans environ, les conseils de Luigi Nono, commence des études de composition au Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan avec Luca Lombardi ; il les poursuivra avec Niccolò Castiglioni dont il admire la stature spirituelle et poétique, et avec Azio Corghi grâce auquel il acquiert un métier approfondi. Il étudiera plus tard ponctuellement avec György Kurtág. Ses rencontres avec Ferneyhough, Eötvös et Lachenmann sont essentielles dans son parcours. En 2006, il est nommé professeur de composition au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.

Gervasoni a développé dans un premier temps un monde sonore incluant les nouvelles techniques instrumentales et vocales, dans le sillage de Lachenmann, Holliger, Sciarrino et du dernier Nono ; il a développé à partir d’elles un univers poétique extrêmement sensible. Cette attention au son a été intégrée progressivement à des constructions mélodico-harmoniques de plus en plus complexes, tout en conservant ses spécificités.

Sa première pièce, Die Aussicht [1985/rév. 2003], témoigne d’un univers musical et expressif personnel, même si l’influence de Webern y est présente. On y trouve en puissance toutes les particularités d’un univers musical qui va se déployer dans les œuvres suivantes : le climat poétique, qui est à la fois pure intériorité et recherche existentielle, l’élaboration d’un monde sonore subtil, raffiné et expressif, mais aussi organique, qui capte immédiatement l’attention.

Très lié à la poésie, Gervasoni se tournera vers la poésie introvertie d’Emily Dickinson, celle concentrée d’Ungaretti, Rilke, Scialoja, Caproni ou Beckett, vers les sentences troublantes d’Angelus Silesius ou les images du quotidien à double sens chez Philip Levine, mais aussi vers Celan ou Camões, vaste constellation qui renvoie aux différents aspects de sa musique, à son aspiration vers la beauté, la lumière, le merveilleux et l’extatique, traversés par l’amertume, le désespoir, la rage et l’attirance vers le néant.

La transparence de l’écriture, trait dominant de la musique de Gervasoni, est constamment voilée par des processus parfois à peine perceptibles. Gervasoni procède par répétitions variées, par altération progressive du matériau, par des transformations microscopiques qui font percevoir la musique dans des perspectives changeantes. C’est le cas par exemple dans le Concerto pour alto [1994-1995], œuvre majeure d’une première période créatrice.

Dans les Poesie francesi [1994-1996], la structure sonore subtile absorbe le texte et la voix ; dans Godspell [2002], elle débouche sur des allusions au jazz. L’inouï des sonorités se charge de références par des citations tronquées ou par l’emploi d’accords parfaits et d’intervalles simples : Schumann dans le trio à cordes et Atemseile (1997), Chopin dans la Fantasia pour piano et orchestre (2005), Frescobaldi dans le quatuor à cordes Six lettres sur l’obscurité (und zwei Nachrichten) (2005-2006), Bach dans Un leggero ritorno di cielo (2003), etc. Lilolela (1994) et Reconnaissance (2008), deux pièces apparentées, ou Dir/In dir (2003-2004/2010) sont traversés d’accords parfaits. Dans Fado erratico (2007-2015), Gervasoni travaille à partir de mélodies de fado. De même, ses pièces possèdent toujours une dimension engagée du point de vue éthique.

La musique gervasonienne renvoie à une hiérarchie sous-jacente qui ne repose plus sur la seule échelle de douze sons, mais les diverses modalités d’être des sons et leurs affinités. Son spectre va des éléments bruités aux consonances les plus pures. Aussi les tensions harmoniques ne proviennent-elles pas du rapport entre consonance et dissonance, au sens traditionnel du terme, mais de la nature interne des sons et des complexes sonores imaginés. Le son est tout entier sonorité, composé de tous les éléments qui en font un phénomène singulier. C’est pourquoi les partitions de Gervasoni exigent une grande variété de modes de jeu, faisant appels à des techniques et à l’usage de matériaux inhabituels. Ces sonorités ne sont en aucun cas une pure recherche sonore, ou une forme de maniérisme, mais expriment de façon très directe tout un monde d’émotions profondes : la musique de Gervasoni est traversée de spasmes et d’élans, de cris, de gestes tendres et de sanglots, comme elle fait à des références naturalistes (les cris de mouette dans le Concerto pour alto ou le vol de l’abeille dans Last Bee (1991-1992), repris dans Animato. Mais au-delà de toute forme représentative, il s’agit pour le compositeur de créer des liens organiques entre ces différents modes de jeu, entre ces différents matériaux, afin qu’ils ne soient pas de simples effets, de purs gestes, mais des structures musicales intégrées à l’intérieur d’une hiérarchie. La palpitation de la musique gervasonienne, fondée en partie sur les différentes modulations du souffle, y compris lorsqu’il écrit pour les cordes ou la percussion, amène le compositeur à inscrire les événements de sa vie dans la composition même, en une sorte d’autobiographie cryptée. Cela s’accompagne d’ironie et d’humour dans certains cas, ou de la volonté de se « déshabituer » de ses propres stratégies (voir Studio di disabitudine pour piano, 1998-1999).

Dans ses pièces plus récentes, le compositeur cherche un parcours de plus grande ampleur et d’une plus grande complexité, comme c’est le cas de Heur, Leurre, Lueur, concerto pour violoncelle (2013), de Clamour (2014) ou d’Eufaunique pour ensemble (2016-2020).

 

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