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György Ligeti

Né dans la minorité hongroise de Roumanie, Ligeti a traversé toutes les dictatures politiques. A son image, sa musique, isolée des grands mouvements modernes occidentaux, a suivi son propre chemin en refusant toute idée de système.

Présentation

György Ligeti est né le 28 mai 1923 en Transylvanie, région qui à la naissance du compositeur est hongroise mais est ensuite devenue roumaine. Il effectue ses études à Cluj mais ne peut entrer à l’Université en section scientifique à cause du numerus clausus concernant les Juifs. Il étudie alors la composition auprès de Ferenc Farkas entre 1941 et 1943. Mobilisé à la fin de la guerre, il s’enfuit et apprend la disparition de son père et de son frère (violoniste doué), ainsi que d’autres membres de sa famille ; seule sa mère sera rescapée des camps. De 1945 à 1949, il poursuit ses études de composition avec Sándor Veress et Ferenc Farkas à l’Académie Franz Liszt de Budapest, où il fait la connaissance de György Kurtág. Il y enseignera peu après l’harmonie et le contrepoint, de 1950 à 1956. À cette date, après l’écrasement de la révolution hongroise par l’armée soviétique, il passe clandestinement la frontière et se réfugie en Autriche, puis se rend immédiatement à Cologne chez Karlheinz Stockhausen, avec lequel il avait noué un contact fragile. Il découvre les œuvres des compositeurs de sa génération, avec lesquels il se lie d’amitié, et travaille brièvement au Studio électronique de la Westdeuscher Rundfunk. En 1959, il s’installe à Vienne et devient citoyen autrichien. Ligeti participe aux cours d’été de Darmstadt entre 1959 et 1972, où il fait entendre une voix différente. Il enseigne à Stockholm de 1961 à 1971, puis à la Hochschule für Musik de Hambourg de 1973 à 1989, partageant son existence entre cette ville et Vienne.

On peut distinguer trois périodes créatrices bien délimitées dans la trajectoire de Ligeti. La première, en Hongrie, est marquée par l’influence majeure de Bartók et par l’utilisation d’éléments populaires. Dès 1949, le « réalisme socialiste » s’impose et contraint Ligeti à composer tantôt des œuvres inspirées du folklore, tantôt des œuvres qu’il garde pour lui-même car trop modernes pour passer la censure. Le cycle pianistique Musica Ricercata le dit par son titre (plusieurs de ces pièces transcrites pour quintette à vent prendront le titre de Six Bagatelles). Cette première période culmine avec le Premier Quatuor à cordes, sous-titré de façon significative « Métamorphoses nocturnes ».

La deuxième période, après l’exil, est caractérisée par un travail subtil sur les textures et les timbres, une sorte de micro-polyphonie dans laquelle les différents contours mélodiques s’interpénètrent sans être clairement discernables en tant que tels. Cette écriture débouche sur une suite de métamorphoses dans une continuité formelle où le temps se transforme en espace. Le rythme est tantôt aboli, tantôt traité sous forme de polymétrie. Ce sont ses deux premières pièces pour orchestre, Apparitions (1958-1959) et Atmosphères (1961) qui font connaître Ligeti et révèlent son style. Parmi les œuvres les plus importantes de cette seconde période, on peut citer le Requiem (1963-1965), Lux aeterna(1966), le Quatuor à cordes n° 2 (1968), le Kammerkonzert (1969-1970), et Melodien (1971).

Après la composition de son opéra Le Grand Macabre (1974-1977, révisé en 1996), comédie bouffonne et tragique dont le style et les sources sont éclectiques, Ligeti se remet en question et abandonne le style qui a caractérisé sa musique jusque-là. Il revient à certaines préoccupations de sa première période, comme l’utilisation des musiques populaires, qu’il élargit désormais au monde entier, et tente de dépasser l’opposition entre chromatisme et diatonisme, expérimentant les espaces non tempérés et les micro-intervalles : c’était déjà le cas, dans un premier temps, avec Ramifications (1968-1969), mais Ligeti abordera le problème différemment dans ses œuvres ultérieures, comme le Concerto pour piano (1985-1988), le Concerto pour violon (1990-1992), la Sonate pour alto solo (1991-1994) ou le Hamburg Concerto (1998-1999). Il revient dans le Trio pour violon, cor et piano (1982), qui désarçonne ses admirateurs, à une écriture thématique et à des rythmes articulés, ainsi qu’à une nouvelle forme de polyphonie transparente. Les sources d’inspiration s’élargissent à la musique expérimentale américaine, à certaines traditions venues d’Asie ou d’Afrique, aux polyphonies du XIVe et du XVe siècles (l’ars subtilior, la musique de Ockeghem notamment), mais aussi à des théories scientifiques comme celles des fractals ou du chaos, à des formes du collage, aux musiques semi-commerciales comme celle des Caraïbes. Les Études pour piano (1985-1995), les Nonsense Madrigals(1988-1993) compètent cette dernière période.

Le cinéaste Stanley Kubrick s’emparera à deux reprises de la musique de Ligeti dans ses films 2001 L’Odyssée de l’espace et dans Eyes Wide Shut : dans un cas pour sa capacité à exprimer l’infinité de l’espace, et dans l’autre pour son caractère obsessionnel. Le premier film surtout popularisera le nom et la musique du compositeur.

Sa confrontation aux totalitarismes nazi et stalinien a rendu Ligeti extrêmement sensible à toute forme de pensée ou de position dogmatique. Ainsi se montra-t-il critique dès son arrivée en Europe de l’Ouest vis-à-vis du sérialisme, développant un style personnel qui lui conféra d’emblée une reconnaissance universelle : à travers des œuvres majeures, il exerça une influence importante, notamment sur les nouvelles générations. Il en va de même pour ses écrits, très différents dans leur approche de ceux de Boulez et de Stockhausen notamment. Ce qui caractérise sa démarche en ce sens, c’est sa capacité à révéler l’essence des phénomènes musicaux à partir d’observations minutieuses, mais aussi l’ampleur d’une vision qui ne se limite pas à la seule musique. Jamais il ne sacrifie aux formulations abstraites ou aux raisonnements alambiqués, visant l’évidence des faits et des idées, qu’il replace dans un vaste contexte.

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